Titre : Vigilance
Auteur : Robert Jackson Bennett
Genre : Dystopie – Science-fiction
Public cible principal : adulte
Présentation
Dans des Etats-Unis ayant perdu de leur superbe, une émission cartonne : Vigilance. Télé-réalité se passant dans l’espace public (centre commercial, gare, patinoire : faites votre choix !), des tireurs surarmés et des civils sommés d’être vigilants s’entretuent devant les caméras, pour survivre et se faire un max de blé.
Une nouvelle Vigilance est sur le point d’avoir lieu. Es-tu prêt ?
Deux voix pour un public
Ce récit dystopique situé dans un futur proche se construit à travers deux protagonistes : McDean et Delyna. McDean produit l’émission Vigilance : cynique et efficace, ses chiffres d’audience sont sa seule grille de lecture du monde. Delyna, jeune serveuse noire, travaille dans un bar rempli de quarantenaires blanc : si ces derniers sont fascinés par l’émission, ce n’est pas du tout son cas à elle.
Le fonctionnement de Vigilance, et de manière plus large de l’Amérique, est décortiqué par ces deux regards opposés. En creux se dessine le portrait du public cible de McDean, des hommes aux idées et aux valeurs patriotes (voire suprémacistes), paralysés de terreur face à un monde qu’ils ne comprennent pas, nostalgique d’un passé n’ayant jamais existé, ivres d’une puissance fantasmée et incapables de se remettre en cause.
C’est bien ce qui s’est passé : chaque fois que les jeunes générations ont dit: « Ceci est néfaste pour nous », les anciens se sont écriés : « Enfants stupides et ingrats ! Puisque c’est comme ça, on va le faire deux fois plus ».
Extrait de Vigilance, de Robert Jackson Bennet
Soyez prêts
Si l’émission fonctionne aussi bien, c’est parce qu’elle donne du sens à une vie qui n’en a pas. Un sens absurde et factice, certes, mais préférable pour beaucoup à une absence de sens. Vigilance ordonne à tous d’être prêt à se battre à tout instant, et cette injonction devient une règle de vie quotidienne pour les téléspectateurs.
L’émission s’enracine dans les décombres d’une nation fondée sur le culte de la performance et de la compétition, et qui ne supporte pas d’être relégué en deuxième division (où ce qu’elle perçoit comme telle). L’american way of life décomposée en un fertile fumier.
S’appuyant sur deux peurs, celle de l’autre et celle du déclassement, Vigilance créé un mythe, celui de l’homme vigilant. L’émission offre à son public une impression de contrôle, l’illusion d’être le meilleur, le fantasme d’être le survivant, celui qui est plus rapide, plus fort, plus précis : mieux préparé.
Les fusils sont pour les gens qui vont tirer dehors. Mais un homme avec un pistolet… est quelqu’un qui a peur qu’on lui tire dessus. […]
Un choix parfait, aux yeux de la Personne Idéale de John McDean, qui, isolée dans sont vaste pavillon de banlieue, regarde à la télévision de belles femmes mettre en garde contre les horreurs et la dépravation à l’extérieur de nos frontières, contre le corruption qui se glisse dans nos grandes villes.
Le pistolet est le choix de qui a peur. De qui est vigilant.
Et s’il y a un truc que John McDean aime par dessus-tout, c’est dire aux gens d’être vigilants.
Extrait de Vigilance, de Robert Jackson Bennet
Violence endémique et prisme médiatique
Le public se vautre dans une fascination malsaine pour la violence à l’ancienne, pour l’armée comme dans les films de John Wayne, pour un mythique ordre ancestral perdu. Il a la sensation qu’enfin la vérité est rétablie, que les faux-semblants sont dissipés, que les États-Unis vont être sauvés. Persuadés que le monde autour d’eux n’est que complot, les adeptes de Vigilance semblent incapables de se rendre compte que c’est en réalité leur émission favorite qui les manipule et les traite comme des moutons à tondre.
En effet, l’émission Vigilance ainsi que la chaîne sur laquelle elle est diffusée (ONT – Our nation’s Truth : tout un programme…) leur offrent une vision totalement déformée de la réalité, un prisme spécifiquement créé pour eux, pour mettre en scène leurs peurs et leurs obsessions, un monde taillé sur-mesure où ils peuvent se complaire. La peur comme méthode de manipulation simple et efficace, annihilant la pensée et l’esprit critique (un peu à la manière de L’installation de la peur de Rui Zink).
Avec une style médiatico-technologique, le texte synthétise le fonctionnement médiatique de la part la plus sombre de la télévision actuelle et brosse un portrait de ses dérives possibles. Il met également en scène l’escalade de la violence provoquant une avalanche de cadavres.
Pour terminer
Malgré le twist final, l’ensemble reste quand même assez attendu et ne renouvèle pas le genre.
Si vous espérez trouvez une analyse révolutionnaire de la télévision et des médias de masse ou de la place de la violence aux Etats-Unis, passez votre chemin (pour qui s’intéresse au monde des médias, rien de nouveau sous le soleil).
Pour moi, il s’agit d’une lecture sympathique, sans plus. Contrairement à de nombreux autres lecteurs, le texte ne m’a pas bouleversé, à l’exception notable d’un passage : le moment où Delyna fait face au public de Vigilance et , grâce à ses mots, reprend un instant le pouvoir en déstabilisant le public.
Alors qu’il a fait l’effet d’un coup de poing à beaucoup de monde, il n’a guère laissé de traces en moi. Dommage…
D’autres avis : Xapur, Chut Maman Lit, le Maki, FeydRautha, CélinDanaé, Syndrome Quickson, NevertWhere, Apophis